Documentaire – 4×52 min
Réalisation: Jalil Lespert
Image: Ludovic Simeon
Son: Antoine Bourdain / Dom Hutton / Alain Vernois
Location matériel son: Anatone
Production: Netflix / Capa Presse
Diffusion à partir du lundi 7 décembre sur Netflix
DSK, la chute d’un aigle
Près de dix ans après les événements, l’affaire DSK embarrasse encore, à tel point que la plupart des responsables politiques de l’époque refusent d’en parler.
Dans Chambre 2806: L’affaire DSK, série documentaire de 4 épisodes sur la chute de l’ancien patron du FMI, on ne retrouve ni François Hollande, ni Nicolas Sarkozy, ni DSK lui-même, mais une galerie de personnages passionnants, au-dessus desquels trône Nafissatou Diallo, son accusatrice qui avait raconté une tentative de viol, finalement classée sans suite. L’occasion de mesurer la distance parcourue depuis tout ce temps en termes de perception des violences sexuelles, alors que cette affaire apparaît aujourd’hui pour nombre de spécialistes comme l’étincelle qui a enclenché la révolution MeToo.
Trois semaines avant que n’éclate le scandale qui allait précipiter sa vie, Dominique Strauss Kahn est une vraie star. À la tête du Fonds monétaire international (FMI), alors que le monde entier est plongé dans une crise économique sans précédent, l’économiste apparaît pour beaucoup de françaises et de français comme le recours inéluctable pour l’élection présidentielle à venir, face à un Nicolas Sarkozy qui dégringole dans les sondages.
« C’est l’histoire d’un homme assuré de gagner qui va chuter, et qui provoque lui-même sa chute sur la dernière marche », résume le producteur Philippe Levasseur, qui a eu l’idée de proposer cette série sur DSK produite par Capa à Netflix. Il ajoute : « Comme le dit un de ses amis, c’est la chute d’un aigle. Il y a une dimension mythologique fascinante, mais aussi raciale, sociale, et sexuelle. »
Le rêve DSK est trop beau pour disparaître
Se plonger dans cette affaire permet de mesurer le chemin parcouru dans la perception des violences sexuelles par l’opinion, par les responsables politiques et financiers mais aussi dans leur traitement médiatique. Les JT de l’époque répètent en boucle par exemple qu’on accuse DSK de tentative d’agression sexuelle, alors qu’il s’agit d’une tentative de viol. On le présente comme un Don Juan, un séducteur.
« Nous ne pouvons pas croire à sa culpabilité », affirme même l’ancien Premier secrétaire du parti socialiste, sans compassion pour son accusatrice. Dans les micros-trottoirs filmés, citoyens et citoyennes rejettent aussi violemment cette hypothèse : c’est sans doute un complot. « Le rêve DSK est trop beau pour disparaître. Personne ne veut que cela s’effondre. Lâcher son favori paraît inimaginable », résume Philippe Levasseur. Plus étonnant en apparence, Tristane Banon, qui avait porté plainte pour tentative de viol contre lui, raconte dans le documentaire avoir elle-même pensé qu’il s’agissait d’un coup monté. Les faits lui apparaissaient terriblement calqués sur les siens.
Nafissatou Diallo, prête et fière de porter cette parole
Dix ans plus tard, certains des amis de DSK n’ont pas l’air d’avoir tellement changé de vision. Comme l’ancien ministre Jack Lang, qui assimile volontiers des accusations de tentative de viol à une histoire « d’amour » : « L’amour n’est pas un complot du diable. [DSK] est un peu plus porté vers les choses de l’amour, et alors ? » Mais dans l’ensemble, alors que MeToo est passé par là, « le point de vue des gens a changé et tant mieux », avance Jalil Lespert, le réalisateur.
C’est peut-être ce qui permet à Nafissatou Diallo de faire enfin entendre sa voix, et de parler en confiance. A l’écran, elle apparaît toujours traumatisée mais aussi déterminée et digne. Et surtout courageuse, comme au moment de raconter, avec précision, ce qui lui est arrivé, ces neuf minutes où sa vie a basculé, et où l’investigation a révélé qu’elle s’était retrouvée plaquée au sol, en ressortant avec des bleus sur le corps et des traces de sperme sur ses vêtements.
« C’est quelqu’un d’introverti, qui avait choisi plutôt la discrétion et l’anonymat, qui n’a pas l’habitude d’être interviewé. Elle a longuement hésité, mais je crois qu’elle a fait tout un travail sur elle-même et se sent prête et fière de porter cette parole, parce que son témoignage peut aider les autres », commente Jalil Lespert. « Nafissatou Diallo a été capable de restituer avec précision chacun de ses pas. En même temps il y a des moments où elle n’est pas complètement cohérente dans son récit, mais c’est ce que dit un policier : il n’y a pas de victime parfaite », complète Philippe Levasseur.
Éclairer les faits, sans jugement
Chambre 2806: L’affaire DSK ne prétend pas soutenir l’une ou l’autre version des faits. Philippe Levasseur tient d’ailleurs à rappeler qu’il n’y a pas eu de condamnation de DSK : « Il a toujours dit qu’il s’agissait d’un rapport consenti. Que Tristane Banon c’était un flirt et que dans l’affaire du Carlton c’était des relations consenties entre adultes ». L’idée était plutôt, pour Jalil Lespert, de permettre à une large audience de se faire une idée du « cas DSK ». Car après toutes ces années, du flou subsiste selon lui dans l’opinion publique, qui alimente des théories du complot. « On a essayé d’être le plus objectif possible, de ne pas verser d’un côté ou de l’autre », avance-t-il.
A cet égard, chacun pourra se faire une idée plus précise de la fameuse scène du Sofitel, cette « danse de la joie » effectuée par deux agents de sécurité dans une pièce à part et filmée par les caméras de surveillance, juste après que Naffissatou Diallou a accepté de porter plainte. Une scène qui avait suscité la suspicion, et que le documentaire éclaire en interrogeant notamment le directeur de la sécurité de l’hôtel. Et Jalil Lespert de conclure : « C’est très nébuleux pour tout le monde. C’est le type d’affaire où chacun a sa vérité. Mon envie était donc d’éclairer un maximum les faits pour que les Français puissent se dire « c’était donc ça » »